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Le Naïf dans le Monde
6 mai 2017

Trente millions de consommateurs, Que choisir ? : Le Député.

 

 

Que ferait donc le Sénat d’un législateur maladroit, à qui manque la faculté de se leurrer lui-même, faculté essentiel pour qui veut guider les autres.  G  Tomasi  di Lampedusa, le Guépard.

Tomasi croyait en la pensée politique et peut-être en une forme d’honnêteté politique.

 

Nous vivons dans un monde, vaste océan de 7 milliards de particules humaines, qui est et reste divisé en Nations, la plupart d’entre-elles incarnées par des États et habitées par des Peuples qui en occupent et revendiquent le Territoire.

Ces Peuples sont de fleuves qui, dans le cours de l’histoire s’écoulent.

Leur cours connait les aléas de la vie des fleuves : le cours capricieux du torrent originel et ses cascades, l’ouverture et l’épanouissement des piémonts puis l’étalement et les méandres des plaines. Le fleuve reçoit des affluents petits et gros et dans l’unicité de l’eau s’augmente de ses apports pour finalement dans son estuaire, d’un flot apaisé se perdre dans l’océan du monde.

Trêve de rigolade, l’image vaut ce qu’elle vaut, mais on a bien le droit de se faire plaisir.

Zemmour ne procède pas autrement.

Le but de cette discutable image serait de caractériser, dans le flot de ces particules humaines, vous, moi, la particule qui vous représentera : votre député. On souhaite le voir partir de la source, entendre tous le bruit des cascades, le murmure des bosquets et qu’il s’en souvienne; on souhaite qu’il ait la puissance ravageuse des crues qui fertilisent ou qui emportent et laissent à reconstruire, on souhaite qu’il ait la sagesse de la voie où glissent les chalands et les felouques…

Laissons cette image se sédimenter dans la vase des dépôts de l’estuaire de notre fleuve et cherchons d’autres angles d’attaque du propos.

 

Aux qualités qu’on exige d’un serviteur, connaissez-vous beaucoup de maîtres qui soient digne de….

 

Nous vivons dans un monde de QCM. Il faut alléger, simplifier, standardiser, uniformiser, « égalitariser » la tâche des correcteurs-enseignants qui subissent déjà la contrainte d’avoir à planifier les prochaines vacances et qui sont une trentaine de semaines dans l’année amenés à subir pendant une quinzaine d’heures la présence d’élèves que l’absence d’autorité parentale a rendu résolument indociles. On comprend et on les plaint.

Cette histoire de QCM a fait entrer dans notre vocabulaire une bien belle expression. Exemple : dans le domaine de la médiocrité politique, M. H. a «coché toutes les cases». Ce «cocher toutes les cases» signifient que M. H. a beaucoup de défauts et peu de qualité en vue de remplir les missions qu’il a revendiquées, dont il s’est chargé anaphoriquement.

Posons donc la question ou plutôt les questions, les QCM, sur lequel nous «cocherons» les qualités que  notre député doit avoir pour l’accomplissement de la tâche que nous lui confions : nous représenter.

 

Notre député, donc, c’est nous, vous, moi, tout le monde. Il est l’incarnation de notre médiocrité, de notre banalité, de notre «ordinarité».

Ce dernier néologisme pour faire passer la « médiocrité », péjorative par l’usage.

Il est donc nécessairement issu de notre sein, il a vécu dans notre groupe, il a fréquenté nos écoles, joué sur nos stades et flirté avec les mêmes filles…

Dans le même temps, il doit dans notre sein, représenter ce qu’il y a de mieux. On n’attend pas de lui qu’il soit l’expression vulgaire de nos opinions mais qu’il sache les assembler, les valoriser, les diffuser. Peuple il est, peuple il doit rester mais il doit exprimer dans le peuple ce qui constitue l’unité, l’adhésion, ce qu’on a fini par appeler le Bien Commun. « Bien » au sens de ce que nous possédons en commun et au sens de ce qui est bien.

 

Quittons les évidences car en réalité nous demandons bien davantage à notre représentant ! Nous lui offrons comme support des confettis d’opinions ébauchés sur des concepts assez vagues dans lesquels pour l’essentiel se nichent nos égoïsmes, modérés de souhaits confus de bonheur universel et de répartition harmonieuse. Nous ne souhaitons de mal à personne, mais charité bien ordonné commence par soi-même et, à la mer, trop n’a jamais manqué ! Nous ne sommes pas riches d’une pensée politique structurée à l’exception de quelques-uns élevés dans des familles à principe : les cathos, les cocos, les bobos et…les musulmans.

On cite les bobos pour que le côté généreux de leur nature ne soit pas oublié.

Comme nous le rappelle le philosophe, il est facile d’avoir une opinion, mais peu de gens pensent.

Nous attendons de notre homme qu’il organise nos confettis d’opinions en une mosaïque où apparaitra une image puis en un tableau qui raconte une histoire et que cette histoire, issue de nous deviennent notre pensée, enfin formulée dans un système dont nous croiront avoir la paternité et que par son intercession,  nous faisons notre afin d’en construire les outils qui organisent la vie collective, la vie de la cité, la politique.

Apparait alors une inévitable inversion : d’abord notre futur élu doit entendre ce que sont nos bribes d’opinion, les organiser dans son tableau, puis nous les présenter pour que nous les validions.

C’est alors que nous voterons pour lui.

Osons une formule : nous attendons de l’élu qu’il transcende notre médiocrité pour en faire un instrument de notre pouvoir.

 

Hélas ce travail de maturation ne peut s’opérer que dans le cadre de la vie politique « comme elle se présente, comme elle est » c’est-à-dire par le prisme des Partis.

Cela clôt l’argument et nous ramène au préalable : l’homme politique, notre futur élu ne peut pas être issu de Nous, le vulgum pecus, l’ochlos, les petites gens, la France d’en bas … Il est « naturellement » issu de l’oligarchie politique et de l’ectoplasme administratif, dégoulinant directement de la filière H4, SciencePo, ENA dont on a par ailleurs analysé la nocivité et la platitude.

 

Nous mettons en ainsi en évidence un Marché de la chose politique –nous n’osons plus dire pensée- avec une offre proposée par l’oligarque. Il conçoit cette offre, comme son publicitaire le lui suggère, alléchante et en harmonie de couleur avec la mosaïque-image qu’il a peut-être commencé à assembler. Il trouvera donc une frange de public qui « achètera » ses promesses.

Ce Marché repose sur la demande confuse de l’électeur. Cette demande est faible. L’électeur veut bien participer au processus démocratique et les plus âgés se souviennent encore des événements que les totalitarismes ont provoqués. Les plus jeunes vivent leur insouciance ou écoutent les voix des vieilles lunes du passé.

Majoritairement, il n’y comprend pas grand-chose et la dette ne l’empêche pas de dormir.

Peut-on en conclure qu’il y excès de l’offre sur la demande ?

 

Les choses sont en réalité encore plus complexes :

Nous avons vu que la demande est confuse, diffuse et foncièrement égoïste.

Nous avons dit que l’offre est au plus près de ce qu’elle croit être cette demande (ce que des esprits cyniques pourraient entendre comme une définition de la démagogie) et elle n’a aucune raison de limiter sa production qui est de faible coût, de coût marginal nul et qui constitue en gros la matière première des médias. La seule victime identifiable de cette boucle industrielle vertueuse est la forêt (suédoise ou canadienne) qui fournit le papier journal sur lequel s’impriment les slogans des futurs députés.

Ce commentaire est celui d’un fossile qui n’a pas encore mesuré le poids de l’audiovisuel dans le monde moderne et qui pense que les choses sérieuses doivent être écrites. Un fossile, pré-tweet, pré-Trump.

 

Cette offre des démagogues s’appuie en premier lieu et essentiellement sur la défense du modèle social français, objet d’envie de tous nos voisins et même du monde entier. Défendre cette forme de redistribution se vend bien. Rien de plus naturel car le besoin qu’elle satisfait est universellement reconnu et admis. Ce qui est moins légitime est de découpler le coût de ce besoin des réalités du monde de la production, du monde de la croissance et en fait du monde tout court.

 

Pour l’offre notre futur député ne manque pas de matière : les rayons du magasin à slogan sont pleins d’articles soigneusement « packagés » comme chez A. ou conditionnés surgelés pas-trop-salés comme chez P., prêts à l’emploi en tapant le code du catalogue.

Comme derrière chaque Zemmour il y a un Bouvard qui sommeille, on ne résiste pas au plaisir de les classer alphabétiquement.

Étagère A :    Aide…aux plus démunis, aux sans –abri, aux logements, aux handicapés…Aéroport de Notre Dame des Landes (produit d’usage, virtuellement inusable)… Autrement (la politique Autrement)

Étagère AA : Avantages Acquis, alors forcément elle est plus large et plus solide ; elle déborde.

               B :  Binationalité (déchéance de, produit soldé)… Bataille d’Alep (un produit récent, tout juste mis sur le marché, plait beaucoup)…

               C :  COP 21 puis 22 (v’la les flics du climat)… Crédit d’impôt (difficile d’emploi : très bien à titre individuel, injuste pour l’entreprise)…le Changement, c’est maintenant !

               D :  Défaut de paiement…de la Dette.

Arrivée là, notre machine à classer s’enraye et refuse d’aller plus loin : sur son petit écran coquin, elle nous dit dans sa lumière bleutée: Dette, article inconnu, sujet tabou ; seuls les Fillonistes rétrogrades ont accès à cet article confidentiel qui n’est pas disponible pour le futur élu (normal) des jours meilleurs et des lendemains qui chantent.   Ah, le temps des cerises !

C’est bien dommage, notre député à venir ne pourra pas consulter sur l’étagère D la section des Droits, pourtant très achalandée au sens strict comme au sens dérivé : beaucoup d’articles et une forte demande : Droit de Grève, de Retrait… il  y en a trop, le magasinier s’épuise.

Heureusement que le site a buggé, le lecteur en aurait eu jusqu’à Weekend (travail du..).

 

Le souhaiterait-il, l’ordre sur les étagères rétabli, la machine réparée, il pourrait alors avoir accès à des rayons poussiéreux sur lesquels ils trouveraient les Réformes-à-faire, les Redressement de Comptes Publics, les Harmonisations de Statut, les Réduction du Périmètre de l’État, la Disparition de quelques étages de Mille-feuille, le Retour au Bon sens de l’Éducation Nationale, la Restauration de l’autorité républicaine…

De la sorte il perdrait.

De la sorte Fillon perdra.

 

Nous réalisons que, en réalité, nous ne choisissons pas notre représentant, le futur Député de toutes les cases. Le mécanisme est inversé : c’est le futur Député, émergeant de son nid de vipère de Parti qui choisit ses électeurs en leur révélant la vitrine de ses propositions de démagogue, leur débitant le boniment qu’ils souhaitent entendre. C’est le futur Député qui a écrit le QCM.

Que la vie devait être simple quand le conseil des guerriers, après avoir sacrifié l’animal propitiatoire et repoussé les femmes impures hors du cercle de palabre, excluait l’indésirable et reconnaissait la toute-puissance du chef du clan qui, heureux hasard, était tout à la foi le plus costaud et le moins bête.

 

                                                                          °°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 

Décembre 2016

 

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