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Le Naïf dans le Monde
4 juillet 2016

Le Fonctionnaire, moderne mandarin

 

On aime les images, elles donnent de la couleur à nos idées et dans leur naïveté autorisent de raccourcis rafraichissants.

La Nation est un grand corps, qu’il est possible de comparer au corps de l’homme, et même à celui de la femme.                                                                                                                                                            

 Inutile de s’appesantir sur ce concept : il est bien accepté, ainsi qu’en témoignent les 200 entités portant ce nom et réunies dans le Grand Machin.

Ce corps a toutes sortes d’organes qui lui permettent de se mouvoir, de faire des gestes, de travailler en somme.                                                                                                                                                                

Diable, travailler, voilà déjà un grand mot, presque un gros mot.

Il lui faut une tête : sinon quels mouvements feraient-ils ? Ces organes iraient de droite, de gauche et à la fin feraient n’importe quoi. Cette tête, dans les nations comme elles sont devenues dans l’histoire s’appelle l’État.                                                                     Toute évocation d’un état existant ou ayant existé serait une coïncidence.

Quelles que soient les modes de fonctionnement de la société dont l’ensemble des membres constitue la Nation, l’État s’incarne dans un groupe de personnes qui sont chargées de remplir ce rôle et de penser, comme une tête doit le faire, pour que le corps vive bien. C’est le Politique.

Le Politique pense, il prépare un futur, il conçoit les gestes et il oriente les mouvements. Mais tout comme le cerveau de l’homme (et de la femme), il lui faut des relais, des moelles épinières, des neurones qui dans la masse du corps parleront aux organes et aux muscles. Ces éléments ne sont pas censés penser par eux-mêmes (hors réflexes) mais simplement obéir au cerveau et ils ne doivent en aucun cas être perturbés par les mouvements du corps : en fait ils doivent agir sur le corps et il ne convient pas que le corps puisse réagir sur eux. Si cela se produisait le cerveau pourrait ne pas pouvoir transmettre ses intentions au corps. Le corps privé de pensée errerait. C’est la Fonction Publique et son incarnation, le Fonctionnaire.

Ensuite viennent les organes : leurs fonctions sont trop variées pour qu’on s’attarde à utiliser encore cette image du corps humain. Elle perd d’ailleurs sa signification, ou plutôt celle-ci s’inverse puisqu’on sait bien que c’est le corps qui fait la tête…et que le corps n’a que la tête qu’il mérite. Parole de libéral pas très démocrate ! Tout ça pour dire qu’après le Politique et le Fonctionnaire vient le Citoyen.

Parlons du Fonctionnaire et de son Statut. Le Fonctionnaire est un prolongement direct du Politique et doit, agissant sur et par les rouages de l’État, mener les actions qui organisent le présent et préparent l’avenir de la Nation. Dans la tradition française le personnage est entièrement dévoué à sa mission. Il ne doit pas intervenir dans la vie du politique, ni intervenir dans les luttes de pouvoir qui la jalonnent  et  pas davantage, il ne doit se laisser influencer par les groupes de pressions du monde des citoyens-acteurs du marché : il suit une étroite ligne de crête pour ne rester que le serviteur de l’État sans être tenté par le chant de la phynance et des sauvages industriels. Ce chemin est étroit : dans le même temps il doit connaître ce monde des affaires dont il doit comprendre les mécanismes sans compromission, ni connivence. Comment acquiert il sa compétence s’il s’en tient éloigné et comment n’en subit il pas la corruption s’il s’en approche trop ? Afin de réaliser cet équilibre délicat l’État lui fournit un nid douillet : le Statut. Assez confortable pour qu’il résiste aux tentations et d’une grande sécurité pour qu’il ne soit pas tenté de quitter le pré où l’herbe est si verte. Le fonctionnaire à la française est en quelque sorte un esclave-serviteur dans une cage dorée.                                                                                                                           La vie politique américaine ne s’embarrasse pas de ces subtilités et tel qui dirige une banque aujourd’hui dirigera la FED demain. Cela marche mais il n’est pas certain que le progrès social y gagne.

Il est bien clair, dans l’esprit de chacun qu’on parle ici des vrais fonctionnaires, de ces perles rares qui acceptent une vie d’abnégation aux ordres d’un État exigeant et parfois ingrat, alors que leurs compétences leur promettaient les faramineux salaires des dirigeants d’un CAC40 en folie.

En effet, à côté des fonctionnaires, l’Etat tout naturellement emploie du personnel, des agents, des techniciens, des petites-mains sur les épaules desquels ne pèsent aucunement le poids de l’Etat et qui font, dans le cadre de la fonction publique le boulot que fait chacun chez Auchan ou chez Peugeot et qui ne sont tout bien considéré que des employés de l’Etat sans en connaître la servitude.

Certains diront que sur leurs épaules pèsent le poids du « Service Public ». Cela est vrai dans la mesure où ils endossent cette responsabilité et remplissent leur obligation de résultat : c’est heureusement le plus souvent le cas. L’électricité est vite rétablie après l’orage et l’hôpital ne ferme pas ses portes à 17 heures le vendredi soir. On oubliera la fréquente désinvolture des cheminots sur ce sujet. Cela justifie-t-il que leur statut soit si différent  de celui de l’ouvrier de chez Peugeot ?

Or ces employés de l’Etat, organisés en puissantes corporations, jurandes et autre structures qu’on désigne sous le vocable ambigu de Syndicat bénéficient du Statut sans être en réalité des Fonctionnaires au sens noble et contraignant du terme.

La fonction crée l’organe : Lamarck et les évolutionnistes de l’époque ne pensait pas à la fonction publique, mais par un de ces jeux que l’histoire du langage nous réserve leur formule s’applique à merveille. La Fonction Publique, du haut de ses majuscules crée du fonctionnaire-employé-statutaire, dans la joie, l’insouciance budgétaire, le népotisme et pourquoi pas le trafic d’influence. Tout le monde s’y colle : le Maire, le Conseiller Général, le Président du même métal, le Conseil Départemental, son Président, le Conseil Régional, son Président –et même son Vice-Président récemment inventé- et enfin l’État, sous toutes ses formes, Ministérielles, Préfectorales, Services  et Agences en tout genre, Cabinets d’iceux et d’icelles, la Foule des Conseillers et Experts, le Parlement et les Parlementaires et cerise sur le gâteau,  l’Education Nationale-Mammouth. A chacun son jardinier, son chauffeur, son assistant, son sherpas, son psychologue de cellule, son auxiliaire… Tout ce petit monde au demeurant ne se prive pas du plaisir –charme du pouvoir- de déléguer, sous-traiter, contracter les tâches à accomplir dans la mesure –bien compréhensible- où leur statut, précisément, ne leur en laisse pas le loisir, le temps.

Ce paragraphe a été écrit avant que ne soit porté à la connaissance du petit peuple l’existence du coiffeur du Président, important personnage du régime, à seulement 10.000 Euros par mois. Mais pourquoi en parler : il n’est que contractuel, le pauvre !

On laisse à Agnès Verdier le soin de rentrer dans le détail de cette gigantesque gabegie.

Mais il convient de noter que l’abondance du personnel n’est en rien une garantie de qualité du service public : tout comme la fonction crée l’organe, l’organe crée la fonction. Une administration à l’aise dans sa mission, ample dans ses moyens humains, une administration non-tendue va par un processus de croissance interne générer des tentacules administratifs qui se justifieront en produisant du règlement, de la norme, du contrôle, de la statistique et encore plus d’administration. C’est que, pour inactifs que soient un grands nombre de fonctionnaires, ils ne le sont pas tous et ceux-là  rêvent de justifier leurs avantages acquis en augmentant sans cesse leur domaine de compétence.

On prête à Périclès l’apparition d’une compensation distribuée aux personnes remplissant dans le domaine public des fonctions officielles ou siégeant dans des assemblées de la Cité ; cette compensation, la misthos, avait un grand poids sur l’électorat populaire qui accédait ainsi aux fonctions jusqu’alors réservées aux riches propriétaires terriens. Certains y voient la naissance de la Démocratie ou au moins un progrès dans son fonctionnement ! D’autres moins angéliques ou plus réalistes y voient la naissance d’un Etat obèse peuplé de fonctionnaires à demi actifs, véritables Mandarins, s’occupant de tout et ne faisant rien qui prenne en compte les variations du monde.

Mais dira-t-on, il y a au moins une catégorie de serviteurs de l’État pour laquelle il ne saurait y avoir la moindre discussion : les Soldats. Car le Soldat de tous les serviteurs de l’État est celui qui fait preuve de la plus grande des abnégations. Dans le silence imposé traditionnellement, dans l’obéissance à un pouvoir politique qui le gaspille et le méprise, dans le dénuement résultant de choix budgétaires plus favorables aux intermittents de spectacle qu’aux Forces Armées (rayonnement de la France et gamineries de Kapoor !)  le Soldat accepte de faire le sacrifice de sa vie pour la plus grande gloire de l’État et à la fin de son contrat, met son fameux Famas au râtelier sans avoir, à la différence du conducteur de train, connu les joies du Statut. Comme le coiffeur du Président.

Mai 2016

Ce texte écrit dans la première moitié de 2016 est extrait du stock de l’an dernier et offert (enfin) en pâture à l’avide lecteur car un récent article de l’excellent Bertille Bayard dans un récent Figaro a ramené ce sujet au premier niveau des préoccupations du moment. On en reparlera dans un prochain texte dont on a déjà choisi le titre : Le Spoil system.      13 mai 2017    Demain EM à l’Élysée.

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