Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Naïf dans le Monde
20 novembre 2019

Homo défaberisé

 

Les doctes savants qui étudient dans l’histoire de l’humanité l’évolution très ancienne des singes velus, nos lointains ancêtres au Sapiens que nous sommes, se creusent le cerveau et se grattent la tête pour démêler l’écheveau de leurs découvertes, fossiles et cailloux bricolés et en tisser une chronologie et une géographie. La génétique, ces dernières années rend leur travail encore plus ardu mais plus fructueux en ajoutant dans ce grand Loto de nouvelles cartes à gratter.

Donc, ils creusent et grattent le sol des cavernes et du rift africain en creusant et grattant  leurs têtes de sapiens scientificus.

Dans cette construction il apparait, et certains d’entre vous me diront que c’était évident dès l’origine de l’enquête, que les outils, et en premier lieu le plus puissant d’entre eux le langage, jouaient un rôle décisif dans l’assemblage d’un cerveau humain, qui n’a rien d’artificiel et n’est pas toujours capable d’intelligence.

 

Il est facile de se perdre en gravissant l’escalier des dénominations d’hominidae, d’homininae, d’hominina, puis d’homo, successivement ou « en même temps » (déjà) habilis, erectus, néanderthalensis et pour finir sapiens, nous-autres.

Longtemps j’ai cru qu’erectus était ainsi qualifié pour ses capacités à croître et se multiplier ; en lisant mieux, j’ai compris qu’en réalité était évoqué dans la dénomination le fait qu’il se tenait droit, comme au garde à vous de la revue d’inspection des homos.

On cherche en vain sur l’escalier des appellations le célèbre homo faber, non que le vocable n’existe pas mais son usage est réservé aux philosophes qui philosophent à cette occasion sur de vastes sujets : Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Quelle est notre condition ? Que signifie… En cherchant bien, Démocrite sûrement (avec lui et ses copains aucune erreur possible, ils ont tout dit avant tout le monde, puisqu’ils étaient les premiers à l’écrire…) et Bergson et l’incontournable Hannah Arendt dont la mention du nom vaut caution de large culture, ces penseurs mettent l‘accent sur le rôle de l’outil et de la capacité à le façonner, facteurs qui étaient mis naïvement en avant dans le § précédent et présentés comme évidence.

Faber est de la  sorte une sorte de rampe de l’escalier des homos, qui nous aide à le gravir, ou, si l’on veut un fil directeur… Bref !

 

Le cher et vieux pays ne pouvait pas ne pas apporter sa contribution à ces avancées de la paléontologie et de la philosophie scientifique. Nous avons pour cela mis en œuvre tout l’arsenal élaboré depuis les années 68, avec le saut immense réalisé en 81 des inventions d’une social-démocratie bien de chez nous.

L’outil principal, le plus puissant d’entre eux mais non le seul, est la déconstruction de l’enseignement primaire entreprise et réussie « en même temps » que la démolition du secondaire, couronnée  de son explosion, la jospinade du succès pour tous grâce au bac-pour-tous.

Bac-pour-tous veut dire, si l’on n’y prend garde, enseignement supérieur pour tous.

Un droit nouveau est arrivé ! Aucune limite, aucune capacité, aucun talent, aucun goût pour l’étude n’est requis : tout est chair à canon pour remplir l’enseignement supérieur. Certains rechignent et flairent le piège. Avec du courage et de la ténacité ils y échapperont et trouverons place dans la société. Mais une vaste fraction des nouveaux bacheliers verront dans l’accès à l’université la possibilité de prolonger leur adolescence.

 

La République est riche et généreuse pour ses enfants. En retour elle se nourrira de ces cohortes d’intellectuels sorties des usines à cerveaux que sont les Universités. Le piège est ouvert et la trappe tombera plus tard

C’est ainsi que l’outil bac-pour-tous devint l’arme absolue : comment ne fabriquer pour une large fraction d’une tranche d’âge, ni ingénieur, ni intellectuel cultivé, ni artisan, ni ouvrier mais seulement une pâte molle et non modelable de gens sans culture réelle et sans connaissances utiles, accessoirement terreau fertile pour les idéologies et sectarisations de tout modèle : marxisme régurgité, sexisme à la mode, victimisations à l’envi, repentances exigées et j’en oublie.

Pâte molle aisément stockée dans les limbes, espace indéfini dont « l’étudiant » ne peut sortir que par un difficile retour au monde du travail lorsqu’il a reconnu la stérilité du temps passé en études incertaines au mieux et le plus souvent inutiles.

Cependant, le gros de cette pâte de jeunesse fourvoyée moisit dans ces limbes et comme une manière de chute ou d’échouage, connait l’inévitable enchainement précarité, dépendance aux aides variées puis déclassement social. (1)

Où sont-ils dans les chiffres du chômage ? Et que de temps perdu comme nous dit la chanson :

Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, Que tout le temps perdu, Ne se rattrape plus

 

C’est ainsi que notre beau système éducatif au prix des efforts que chacun a mesurés, est parvenu à produire un Homo Défaberisé, un Sapiens qui a perdu toute capacité de fabriquer ses outils.

Les paléontologues s’en moquent un peu mais certains savants qui se grattent la tête et philosophent se demandent même si la simple capacité au travail –fut-elle simplement réduite à la cueillette en oubliant la chasse)- n’a pas été écarté dans la même évolution tant le processus se révèle efficace.

 

Hanna Arendt n’en reviendrait pas.

 

  1. La remarque vient immédiatement à l’esprit. Peut-on oublier les grandes écoles et réduire l’enseignement supérieur au triste constat fait ici de l’échec de l’université. Ici l’hésitation persiste : les grandes écoles forment-elles toujours des entrepreneurs novateurs ou ne forment-elles plus que des « gestionnaires », en copie plus élaborée des écoles dites de commerce. Cette remarque ne concerne pas, chacun sait, les professions de la santé dans lesquelles le corporatisme veille ; dans ces études, l’accès aux limbes se fait en conclusion de la première année d’étude ce qui déplace les échecs des étudiants sur les cases usuelles de l’échiquier de l’université : Droit, Lettres, Histoire, et Socio-psychologie ; on aimerait ne pas avoir à inclure les Langues dans cette liste.

17 novembre 2019

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Naïf dans le Monde
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité