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Le Naïf dans le Monde
2 novembre 2020

Rivières et Musiques du lien social

aSur un coin de mon écran, depuis presqu’un an ce texte traine, petite icone ironique, mauvaise conscience d’un papier qui ne me satisfaisait pas. Il ne me satisfait toujours pas mais je suis dans une période de rangement et même de déblaiement. Donc il va rejoindre le stock des remarques inutiles.

En fait il devrait être intitulé : La Destruction de la Nation.

Il s’inscrit dans ce courant d’un déclinisme, analyse d’un déclin, hélas indéniable, et d’un ajout de pessimisme construit sur et renforcé par l’évolution des relations internationales.

Finalement fin 2020, à noël précisément, je relis ce carnet sans déplaisir et je le lance aux lecteurs  comme d'anciennes amies. 

J’hésite : deux images me viennent à l’esprit.

Des petits ruisseaux coulent sur les flancs d’une montagne, ils la ravinent, l’entaillent et se rejoignent pour former un fleuve dévastateur qui emporte tout sur son passage au hasard de ses crues.    Ou bien des musiques nouvelles et des bruits se font entendre, dans un concert, jusqu’à en altérer puis en détruire l’harmonie, conduisant au chaos sonore qu’est devenue la somme de ces bruits.    Indécis, je ne choisis pas. Les images se mélangeront et l’on passera de l’image du fleuve à celle des clameurs assourdissantes au gré du propos. 

Pour les meilleures raisons du monde des courants de pensée émergent du corps social ou de certains éléments du corps social de nos pays démocratiques. Ils expriment le besoin qu’éprouve une société de réaliser « encore et toujours » un progrès dans la recherche d’un bonheur commun. Ainsi : obtenir plus de justice sociale, ne plus abandonner les individus maltraités par le sort et par les puissants, protéger mieux les faibles et les démunis abandonnés en face des réalités des croissances, économique et démographique. Et aussi vivre en harmonie sur une planète restée bleue dans notre imaginaire. Le « Plus de Progrès »  ne peut que s’inscrire en critique de la situation du moment. 

L’eau qui coule à ces source est pure, limpide et désaltère le moins favorisé. Elle ne se trouble que lorsqu’elle vient diluer et éroder les fondements mêmes de la société qui les génèrent en se transformant, en dépit de justes raisons en une idéologie antagoniste au système dont elle est issue.

Le mot idéologie est utilisé ici pour parler de systèmes de pensée qu’on applique de façon globale à l’ensemble des relations infiniment variées qui constituent l’ossature, la matière et l’harmonie toujours provisoire des corps sociaux.    Toute idéologie se nourrit d’un déni, d’un refus de voir et de comprendre la réalité qui dicte l’ordre du monde et des choses. Le premier de ces dénis est de ne pas « ressentir » que l’espèce humaine procède toujours par un besoin de socialisation et dans le cadre social par un besoin des individus d’affirmation de pouvoir et de possession.     Cet invariant anthropologique fait qu’une idéologie se transforme immédiatement, à la source, en un objet et un outil de pouvoir.

Un besoin de justice sociale ou de respect de la nature se transforme en une croyance -comme une révélation- puis en un fanatisme et un totalitarisme qui prospéreront au gré du talent et de l’ambition politique des sectateurs.

Cette recherche suit le plus souvent un courant catégoriel. L’individu qui revendique trouve plus confortable de chanter dans la chorale du quartier avant de rejoindre les chœurs d’un Opéra distant. Il suivra le cours du ruisseau devant sa ferme avant de naviguer sur la rivière.

Catégoriel : défense puis attaque.

Défense sans remise en question de l’ordre social comme défense d’une religion menacée par la laïcité (elle-même devenue religion), défense légitime d’un groupe social victime de tel ou tel changement et bien évidemment l’éternelle défense des acquis sociaux en dépit de leur évidente obsolescence, autant de défenses « manifestées ».

Mais aussi Attaque quand le groupe vise à des changements profonds dans l’ordre établi au premier rang des quels l’anticapitalisme et l’écologie de la décroissance, suivi de toutes les têtes de l’hydre des convictions absolues qui ne trouve à s’exprimer - pensent-elles -  que dans le combat contre l’ordre en ouvrant la porte à l’émeute.

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 Il serait tentant de donner à ces choses, rivières ou musiques, un classement. Dire que telle musique l’emporte sur telle autre, ou que tel courant, telle rivière est plus puissante que tels autres. Ce classement est difficile car en fait on pourrait naviguer sur chaque rivière ou écouter chaque musique et sans doute, utilisant leurs mouvements, en tirer profit et ne pas atteindre la cacophonie ou la submersion. Le progrès social –au sens vrai du terme- procède de la sorte.

Mais elles agissent ensemble et c’est de leur réunion que nait leur capacité à détruire.

L’histoire pourrait nous guider et nous faire choisir un début : quand  la première fausse note s’est-elle fait entendre, quand sont apparues les premières fissures de la roche où suinterait le désordre ? Mais on échoue encore : ces musiques ont toujours été présentes dans chaque épisode de l’histoire. Ce qui nous frappe est que, après tant d’aventures historiques, elles ressurgissent avec une telle vivacité.

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De tout temps l’homme a vécu en groupe et dans le groupe il a trouvé force et sécurité. Mais le groupe le contraint et, de tout temps, l’homme ressent la vie en groupe et la vie du groupe comme des oppressions. Naturellement il s’insurge contre ces oppressions qui l’obligent, lui, l’individu qui se croit et se veut libre, d’obéir à des règles imposées par un corps social auquel, en suivant cette pente, il refuse d’appartenir. Alors sans cesse il déconstruit ce que le groupe lui a offert. Il met en pièce l’édifice social : il rêve d’une société idéale, sans barrière, sans distinction, sans qualité dans laquelle tout serait simple et accessible. Sans une oreille pour la douce musique de Fourier, il écoute les fanfares de l’égalité absolue. (infra)

Ainsi cette déconstruction libératrice, par une vicieuse association avec son contraire, la pensée marxiste, conduisit à remettre en cause tout ce qui est le fondement et mécanisme des sociétés : la famille et l’autorité parentale, la coercition légitime, la participation aux tâches collectives, l’impôt, l’école des anciens, l’histoire des anciens et in fine l’appartenance au groupe, à la nation. Cette pensée devient le guide des intellectuels qui « entrent » dans le système par une dissidence confortable et en pervertissent les fondements et le fonctionnement.

Le déni originel de ces courants de pensée est de ne pas reconnaître que le  corps social est « en même temps » une machine à produire de la richesse, du bien-être, du progrès. Le travail de la déconstruction, comme son nom nous le dit, consiste d’abord à saborder le vaisseau sur lequel nous naviguons, le moteur qui nous propulse.

Quand la déconstruction avance elle laisse l’homme comme un individu isolé dans une société dont il ne comprend plus les fondements et l’agencement. Il s’exclut lui-même, passager clandestin ou criminel. Finalement il devient un naufragé. 

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 Non loin de cette rivière de la déconstruction coule un autre torrent : celui de l’Égalité Absolue, de l’Égalité parfaite, pure, cristalline. Tous les hommes sont semblables et possèdent les mêmes aptitudes. Une illustration exemplaire : Les différences sexuelles sont une invention sociale comme nous l’avaient déjà énoncé les déconstructionnistes du § précédent et l’égalité homme-femme devient un impératif applicable en toute chose des rapports entre mâle et femelle de l’espèce. Un autre exemple : la réussite ou l’échec scolaire ne sont en rien liés aux capacités intrinsèques de l’élève puisque les élèves sont tous semblables et que les distinguer par leur aptitude à apprendre s’opposerait à produire un troupeau d’individus égaux. Et malheureusement incultes dans leur uniformité.

Si des différences apparaissaient en dépit de l’uniformité, elles ne pourraient qu’être les conséquences des inégalités de chance dans le cadre social. L’argument est fondé car les inégalités sociales sont effectivement un facteur déterminant de la « Chance » mais les conclusions qu’on en tire sont erronées. Différence de chance ne signifie pas que les individus soient semblables ou qu’ils le deviendront en faisant disparaitre les inégalités de condition. Les individus, favorisés ou non sont aussi prisonniers de leur nature profonde et de leur capacité à naviguer dans le monde comme il se présente à eux.

La reconnaissance de la dignité et de la fraternité  devient l’énoncé brouillon d’un égalitarisme absolu qui conduit inéluctablement à ce fameux nivellement par le bas qui s’observe dans les lieux où devrait se structurer la pensée des futurs citoyens : la famille, l’école et le monde du travail.

Cette revendication maladive de l’égalité s’étend aux groupes ethniques et conduit le fervent égalitariste à « bien-penser » que toutes les sociétés sont semblables et que ce qui fait le principe de l’une –la sienne- doivent constituer les fondements d’une autre.

Vaste sujet.

On ne peut oublier la musique ce qu’on peut appeler par une expression glanée au hasard le « fléau de la philosophie des droits de l’homme ».

 Ici, par paresse et en signe de respect à l'endroit de M. Manent, ami de pensée, j'ajoute un texte qui je l'espère se substituera au § que je me préparais à écrire, réalisant ainsi un progrès considérable.


Pierre Manent : «Les droits individuels règnent sans partage jusqu'à faire périr l'idée du bien commun»
 

«Qui suis-je pour juger?»

Quand nous regardons «ailleurs», en direction des «cultures» ou des «civilisations» extérieures à notre aire ou «exotiques» au sens propre du terme, celles qui ont fourni sa matière infiniment diverse à l'ingéniosité des ethnologues et qui continuent d'exciter la curiosité des touristes, nous nous faisons un devoir et un mérite de ne pas les juger, nous nous flattons de ne pas être choqués par les conduites parfois fort choquantes qu'on y observe, et qui trouvent selon nous, ou selon la philosophie qui nous guide, un sens raisonnable, ou acceptable, en tout cas innocent, dans cet ensemble organisé et cohérent qu'est la «culture» considérée. En revanche, quand il s'agit du domaine où nous agissons, où nous sommes citoyens, nous ne laissons pas une pierre à sa place, notre zèle réformateur est infatigable, et implacable la sévérité du jugement que nous portons sur nos arrangements sociaux et moraux qui ont toujours à nos yeux quelque chose d'irrationnel, d'inadmissible et de vicieux. «Ailleurs», nous rougirions d'oser prétendre changer quoi que ce soit à «leurs mœurs» ; «ici», la réprobation de l'opinion gouvernante, celle qui légifère, s'adresse à ceux qui voudraient conserver quelque chose de «nos mœurs». (…) Cette division de l'esprit caractérise la posture progressiste dans laquelle nous nous sommes installés lorsque l'empire occidental a commencé à refluer.

Elle continue de dominer l'esprit public même si elle suscite un malaise croissant depuis que les «gens d'ailleurs» sont arrivés «ici» en grand nombre et que «leurs mœurs» sont installées dans le lieu où nous agissons au lieu de caractériser seulement celui que nous regardons ou visitons. (…) D'une part, nous posons que les droits humains sont un principe rigoureusement universel, valant pour tous les êtres humains sans exception ; d'autre part, nous posons que toutes les «cultures», toutes les formes de vie, sont égales, et que toute appréciation qui tendrait à les juger au sens plein du terme, qui ainsi envisagerait au moins la possibilité de les hiérarchiser avec justice, serait discriminatoire, donc que tout jugement proprement dit serait attentatoire à l'égalité des êtres humains. (…) Non seulement ce critère n'est pleinement applicable que «chez nous», mais il ne s'applique effectivement qu'à «nous», c'est-à-dire aux citoyens qui ne viennent pas d'«ailleurs». Un éminent sociologue, spécialiste reconnu de l'islam, réprouve les chrétiens qui font publiquement des réserves sur les «droits LGBT» car ils se mettent ainsi en contradiction avec les «valeurs communes européennes», mais il déclare «compatible avec nos sociétés modernes» l'islam «pas forcément libéral» des «nouvelles élites musulmanes».

Ainsi Olivier Roy réprouve-t-il explicitement chez les chrétiens ce qu'il s'abstient de juger chez les musulmans (…) L'autorité devenue exclusive des droits de l'homme simultanément excite et entrave notre faculté de juger.(…) Pris en tenailles entre d'une part la diversité sans règle des cultures, d'autre part la liberté sans loi des droits humains, nous n'avons plus de point d'appui fiable pour exercer le jugement pratique.

"Rien n'est naturel, tout est culturel"

Les règles publiques comme les conduites privées sont tenues de reconnaître et de faire apparaître qu'aucun de ces caractères (le sexe, l'âge, les formes de vie) ne résulte d'une détermination naturelle ni ne peut se prévaloir de l'autorité de la nature. Cette recomposition du monde humain est présentée comme la concrétisation des droits humains compris dans leurs dernières conséquences, et bien sûr comme l'accomplissement ultime de la liberté puisque chacun est désormais autorisé et encouragé à composer librement le bouquet de caractères constituant l'humanité qu'il s'est choisie (…) toute nouvelle «forme de l'homme» qui prétendrait tourner vers elle les aspirations humaines, à supposer qu'elle ait pu être produite, serait immédiatement soumise à la déconstruction (…) au nom des droits humains.

La loi chargée de nier la loi

L'État moderne entend régler un monde humain qui se croit ou se veut sans loi ni règle. À cette entreprise sans espoir sinon sans conséquence, nous avons donné l'apparence avantageuse d'une heureuse redéfinition de la loi, celle-ci consistant désormais non à fixer les meilleures règles ou le meilleur régime, mais à protéger, garantir et promouvoir les droits constitutifs de la liberté naturelle. La loi désormais se propose de donner aux sociétaires les seuls commandements qui leur sont nécessaires pour mener une vie sans loi. Tout ce qui irait au-delà, qui aurait un contenu positif, qui viserait un bien défini, une forme de vie jugée bonne, violerait en quelque façon les droits humains, nous ramenant dans le monde ancien du commandement et de l'obéissance. (….) Nous avons chargé la loi politique d'être autre chose et finalement le contraire d'une loi ; nous avons chargé la loi politique d'agir contre son essence de loi, une essence pourtant dont elle ne peut se défaire.

«J'y ai droit»

(À partir du «moment 68») toutes les grandes institutions successivement, d'abord l'Église catholique, puis l'Université, enfin la Nation, eurent à affronter une contestation radicale de leur légitimité propre et de leur sens intérieur. Ce n'était pas seulement que leurs membres manifestèrent un désir de plus en plus vif d'en relâcher et éventuellement d'en supprimer les règles. Le mouvement vint aussi de l'extérieur, ou plutôt il visait à effacer la frontière entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'Église et le «monde», entre l'université et la société, entre la nation et l'humanité. La souveraineté illimitée des droits individuels devint l'argument sans réplique de quiconque voulait s'en prévaloir contre les règles et le sens de l'institution quelle qu'elle soit. C'est ainsi que le législateur et le juge français, en rejetant le principe de la sélection à l'entrée de l'université, tendirent à priver de son sens et de sa substance ce qui est sans doute l'institution la plus utile et la plus juste, ou la plus noble, qu'ait produite ou refondée la politique moderne.

C'est ainsi qu'au nom du principe des droits humains, on veut interdire aux nations de prendre les lois qu'elles jugeraient éventuellement utiles ou nécessaires pour préserver ou encourager la vie et l'éducation communes qui donnent à chacune sa physionomie et sa raison d'être. Ce n'est plus aux cités de déterminer qui sera citoyen et à quelles conditions, puisque chacun désormais est supposé avoir le droit de devenir citoyen de la cité qu'il choisit. Quelle que soit l'institution, pourrait-on dire, tout individu a le droit inconditionnel d'en devenir membre - inconditionnel, c'est-à-dire sans avoir à se soumettre aux règles spécifiques - à la «loi» - qui règle la vie de cette institution, ou en ne s'y soumettant que de la manière la plus approximative et pour ainsi dire la plus dédaigneuse. Qu'il s'agisse de la nation, de la famille ou de l'université, l'institution ne saurait légitimement opposer sa règle à l'individu qui invoque son désir ou son droit, les deux tendant à se confondre désormais (…) ce «droit» est compris d'une manière de plus en plus extensive, en vérité d'une manière proprement illimitée: non seulement comme le droit de «tout avoir» mais, de manière plus troublante encore, comme le droit d'être tout ce que nous sommes ou voulons être.

" Respectez ma sensibilité "

Lorsque les droits sont parvenus au terme de leur extension, lorsqu'ils ont installé leur légitimité exclusive en s'opposant victorieusement à toute règle collective, lorsque la loi, esclave des droits, n'a pour ainsi dire plus de «matière pratique» à régler, elle vient chercher chacun dans sa souffrance ou jouissance subjective - c'est politiquement la même chose car dans les deux cas l'individu est convoqué dans sa passivité - et elle porte ce je souffrant ou jouissant à la lumière publique, commandant à tous de reconnaître cette souffrance ou jouissance - de la «reconnaître», c'est-à-dire de lui accorder une valeur opposable à quelque loi ou règle que ce soit. (…) L'être humain cesse d'être un animal politique, définition, nous l'avons vu, qui abrite un essaim de questions éminemment pratiques, dont la plus pénétrante s'enquiert du meilleur régime de la cité, ou de l'ordre politique juste.

La loi des droits n'a pas de place pour ces questions. (…) Le droit déclaré et garanti par la loi nouvelle ne concerne pas la «part» ou la «contribution» de chacun à la chose commune, mais le rapport à soi de chacun, divorcé de toute participation à la vie commune, ou même dépourvu de toute signification pour la vie commune. (…) Cette séparation de l'intime ou du privé, et du commun ou du public, est mise à mal lorsque le rapport à soi, sous ses différentes modalités, est installé dans la lumière publique, lorsqu'on le force pour ainsi dire à occuper l'espace public. Dès lors en effet, celui-ci est de moins en moins accueillant ou disponible pour l'action et l'institution qui, en tant que telles, sont indifférentes au «sentiment de soi» des sujets. L'action et l'institution ne trouvent plus guère d'appui dans une atmosphère sociale saturée par la revendication subjective de ceux qui réclament la reconnaissance non de ce qu'ils font mais de ce qu'ils sont. Au lieu que l'énergie sociale soit dépensée principalement pour «sortir de soi», pour entrer dans des activités partagées et participer à la chose commune, une partie croissante en est détournée pour faire valoir le sentiment pourtant incommunicable de l'individu-vivant, du je sentant ou sensible.

Charme et péril du lâcher-prise

«Laissez-faire, laissez-passer», telle est la formule simple mais prodigieusement séduisante de la liberté moderne, qu'il s'agisse de la circulation des blés, des travailleurs, des idées, ou des pulsions. Il y a toujours une partie de la société, un secteur d'activité, un aspect de la nature humaine, un domaine de l'être qui est encore entravé. Il y a toujours des obstacles, hommes et choses, qui empêchent ou ralentissent le mouvement. Il y a toujours une liberté nouvelle, des droits nouveaux à promulguer afin de désentraver, dégager, libérer la nécessité naturelle qui était déjà là et faisait sentir sa pression. (…) Si nous fermons un instant nos oreilles à la suggestion sans cesse susurrée de laissez-faire, laissez-passer, si nous nous efforçons d'être attentifs à la vie pratique telle que nous pouvons l'observer en nous et hors de nous, nous percevrons que toute action est au moins tendanciellement ou implicitement commandante ou commandée. C'est pourquoi d'ailleurs la vie humaine, qu'elle soit publique, sociale ou privée, est toujours essentiellement tendue. Ce n'est ni un défaut que nous devrions corriger ni une maladie dont nous devrions guérir. (…) (Or,) nous mettons notre foi dans le postulat qu'une certaine inaction, ou une certaine abstention, est à l'origine des plus grands biens.

Tandis que gonflent et s'accélèrent les flux qui emportent les hommes en même temps que les produits de leurs activités, nous ôtons les freins et nous abstenons des actions qui seraient susceptibles de modérer et de diriger le mouvement des hommes et des choses. D'ailleurs, pensons-nous, rien n'est plus ingrat ou stérile en général que la tension propre à l'homme agissant, qu'il se soucie de ce monde ou de l'autre. «Éviter le stress», «rester cool», «ne pas se prendre la tête», telles sont quelques versions du seul commandement dont nous reconnaissions la validité. La grammaire de la vie humaine s'est réduite pour nous au pâtir et au jouir. Entre ces deux modes de la passivité qui ont toute notre attention et qui fournissent la matière de tous nos nouveaux droits, nous n'avons plus de place pour l'agir. (…) L'humanité occidentale, en tout cas européenne, semble vouloir se rassembler tout entière non pour faire quelque grande chose nouvelle mais pour refuser unanimement et irrévocablement d'écouter et même d'entendre la question: que faire?

11 mars 2018 

« En même temps » la Société, en voie de déconstruction et de nivellement, continue sa quête du Bien Commun, inatteignable objectif du Progrès Social, néanmoins incarné dans le très célèbre modèle français que nous envie, dit-on en France, le reste de l’humanité

Dans le monde antique, le monde féodal et jusqu’au  monde du 19ème siècle l’énergie consommée provenait pour la plus grande part du travail de l’homme aidé de l’animal domestique. Sous diverses formes ce travail représentait une contrainte subie par le travailleur, esclave de sa condition : esclave au sens propre chez les anciens, esclave socialement inférieur chez les féodaux, esclave du monde industriel du siècle de la machine à vapeur, consacré à la mine ou à la forge.

L’idéalisation de la démocratie comme système politique « le moins mauvais » exigeait de libérer les esclaves, d’alléger leur fardeau et de les faire accéder à la citoyenneté par l’éducation et le civisme.

Réduire la dépendance du citoyen aux contraintes du travail était l’essence même des premières mesures visant à améliorer la condition du travailleur : qu’il trouve, en même temps qu’il produit, le temps de vivre !

Vivre, trouver le temps de s’occuper de sa famille et aussi de lui-même, comme homme libre….

En exemple, la question se pose de savoir jusqu’à quel niveau il convient –dans l’hypothèse où cette question se poserait en terme régalien- que l’État impose légalement une réduction du temps de travail des citoyens ?

La question est rendue encore plus complexe car, « en même temps » l’État met en place une assurance chômage qui au fil du temps des années 70 jusqu’à récemment retirait à la perte d’un emploi tout caractère d’urgence et progressivement instituait non plus seulement un droit au travail mais un véritable droit au travail « de son choix » et à la limite une possibilité de survivre sans travailler donc un véritable droit au « non-travail ».

Charme du pouvoir paritaire où il apparait que l’organisateur et fournisseur du travail est l’ennemi pendant que la réduction du temps de travail devient l’objectif permanent du Progrès.

En dernier lieu, avec une petite note de déconstruction correctement orchestrée, le travail devient alors une aliénation, une contrainte imposée par le binôme État-Capital pour asservir –à nouveau- un peuple qui dans l’intervalle et en dépit des imperfections de ce système, s’est embourgeoisé et achète des autos et des écrans de plus en plus plats.

En travaillant de moins en moins.

La réponse à ces question se trouvent dans les chiffres : déficit du commerce extérieur, augmentation régulière d’une dépense publique transférée du régalien au simple fonctionnement d’un état obèse que son poids-même rend inefficace jusqu’à l’impuissance et in fine dans la dette.

C’est en allant aux résultats sur le pas de tir de l’État qu’apparait l’évidence : les Français ne travaillent pas suffisamment pour acquérir et même « mériter » le Progrès Social dont ils bénéficient.    Écoutant la musique du « Toujours Plus », ils se plaignent d’une situation qu’ils ont « acquise » et dont ils ne perçoivent ni l’origine, ni la finalité.

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 Plus loin, il sera question de la crise que vit actuellement le pays : il faut donc suivre le cours de la rivière qui symbolise le mouvement de pensée (ou d’absence de) qui joue aujourd’hui dans cette affaire le rôle de déclencheur.

Il s’agit de l’idéologie de ce que l’on désigne par le mot-valise d’Écologie.

Au-delà du civisme, de la propreté, du respect de la nature et des autres, seules véritables et indiscutables impératifs du discours écologique, on débouche immédiatement sur le problème du développement économique donc industriel et agricole. Penser réduire la croissance économique alors que le taux de croissance de la démographie mondiale reste de 1.1 ou 1.2 % par an est au mieux une utopie avant de devenir une drogue de dealer démagogue. L’argument est donc « seulement » de réduire les effets dommageables de cette croissance et de la consommation des ressources dont elle se nourrit. Plus simplement :

1 économiser les ressources qu’on possède pour une croissance suffisante et assurer l’approvisionnement des ressources étrangères, « venues d’ailleurs », en fonction de l’équilibre géopolitique.

2 produire le plus « proprement » possible, mais produire quand-même et exporter.

La seule réponse que nous offre la démagogie écologique est celle de la décroissance : si nous ne produisons plus, nous ne polluons plus. Faisons semblant de croire que cette pollution à disparue et que la production « ailleurs » ne nous concerne pas. Tout en continuant à acquérir les produits venus «d’ailleurs ».

Ceci est d’autant plus facile que notre production est trop onéreuse et que l’occasion d’offrir du travail à la population traverse les frontières à rebours du mouvement des biens de consommation produits « ailleurs ».

Heureusement la France est peuplée de gens remarquablement intelligents et novateurs : avions, TGV, nucléaire…

Comment ne pas remarquer que ces sujets furent abordés et développés à une époque, hélas révolue, quand le pouvoir n’était pas confié aux seuls élèves de l’école de l’élite, école de la vacuité scientifique, technique et industrielle et, si on considère les résultats, de la vacuité tout-court.

Comment ne pas remarquer que rien ne parait plus urgent que de stopper les efforts dans ces domaines…

Et quelle dommage que tout ce qui concerne les trucs électroniques et les e-choses se soient élaborées en Californie et maintenant en Chine : le Climat, nous dirait Montesquieu.

Un affluent de ce courant écologique est ce que l’on désigne ici comme : La Haine du nucléaire.

Pour la troisième fois dans le cadre de ces papiers, on utilisera un petit texte écrit dans un autre style, extrait de « l’Électricité en France, 4ème partie de mars 2018.

Un…autre sujet concerne … la « haine du nucléaire ». En tout cas son rejet. Ce syndrome est mondial et la France n’est pas le pays le plus affecté.

Le mal est profond.

L’énergie nucléaire, en 1945, a fait son entrée dans nos vies par la mauvaise porte : la porte de la guerre et de la destruction. Qu’importent les comparaisons entre Dresde et Hiroshima, le versant « magique et apocalyptique » de l’arme ne disparaitra jamais.

Le nucléaire civil, chaleur-vapeur-électricité, aurait sans doute pu ne pas être ignominieusement marqué par la Bombe mais les accidents de Three Miles Island en 1979 et de Tchernobyl en 1986 ont, pour longtemps fait entrer l’atome civil dans le royaume des Forces du Mal. La catastrophe de Fukushima en 2011 vint achever cette descente dans l’enfer des opinions publiques.

C’est un état de fait et seuls les régimes autocratiques qui « font » les opinions arrivent à passer outre et à conduire des programmes nouveaux de construction de centrales nucléaires… et thermiques aussi bien !

L’origine de ce malentendu entre l’homme et la radioactivité tient au caractère secret de celle-ci. La foudre frappe et incendie, le vent abat les forêts, la tempête ravage les côtes, les volcans explosent  alors que la radioactivité est simplement là, endormie, recouvrant tout mais paisible et sans le moindre excès. Elle est l’essence même du soleil, elle rayonne avec lui dans notre ciel. Notre terre irradie elle-aussi en souvenir de son origine, en quelque sorte chaude et « radieuse ».

Elle n’est entrée dans nos vies, et cette fois ci par la petite porte des laboratoires, qu’au seuil du 20ème siècle. Les historiens de sciences nous disent par quels chemins, depuis les images des Rayons X, nous en sommes arrivés aux savants fous des années noires murissant l’idée que la concentration de cette force omniprésente et diffuse autoriserait les Prométhées de notre temps à domestiquer cette immense énergie.

Comme presque toujours dans l’histoire de l’Homme, le chemin est celui de la bataille, de la guerre.

L’arc du chasseur tue la biche mais mille arcs éradiquent la chevalerie de Charles VI. Une bombe lancée depuis le biplan de la grande guerre détruit le nid de mitrailleuse mais dix-mille bombes font disparaitre Dresde. Pour Hiroshima, une seule bombe suffira.

La paix reconnait cette énergie et veut, elle-aussi la domestiquer : il suffit de ne pas aller jusqu’à l’explosion.

Simple, non ? Pas d’explosion : reste la chaleur.

La règle du jeu est donc de maîtriser en toutes circonstances le combustible-explosif que nous mettons dans la marmite à bouillir : l’erreur conduit le combustible à redevenir l’explosif.

Cependant l’homme ne hait pas l’arc, il adore l’avion et les américains, nous dit-on, ne peuvent pas s’endormir sans un colt sur leur table de nuit ; alors que l’atome est resté invisible, secret et magique. On ne le voit pas et on ne le comprend pas. Cette peur de l’énergie nucléaire empêche l’acceptation de l’existence même d’un phénomène naturel qui, littéralement nous imprègne.

Cette peur et cette diabolisation surplombant les réalités techniques s’engouffre dans le vide intellectuel d’une oligarchie politique inculte scientifiquement et coupée du monde de l’industrie et de l’énergie.

Le fait brut est que depuis 50 ans la France produit, avec l’appoint de la houille blanche, l’essentiel de son électricité au moyen d’un outil qui a fonctionné parfaitement, régulièrement et à un coût comparable à celui des sources carbonées. L’Autorité de contrôle dont l’exigence ne saurait être mise en doute donne son accord pour continuer l’exploitation de cet outil par tranche de 10 ans au prix d’efforts de sécurité accrus.

Et bien non ! Nos ombres chinoises mettent toute la puissance des rumeurs en action, entrainent dans leurs errements les « forces du progrès » de la présidence Hollande et vont finir par obtenir qu’on mette à la casse un parc de production, déjà amorti et susceptible de travailler longtemps encore.

L’exemple allemand, pourtant exemplaire ne sert de rien.

Le très cultivé Macron n’a pas de temps pour ces détails et en confie le suivi à… son pitre… de service.

Leur triomphe est la Loi de Transition Énergétique qui devient la Bible de l’Antinucléarité.

 Les conséquences de ce texte, cette Loi de Transition Énergétique sont immenses et nous les mesurons maintenant. Chère Taxe Carbone, mais ni Ayrault, ni Hollande, ni Royal, ni Macron ne pensaient à mal. Simplement ils ne pensent pas car ils ne savent pas. Ils flottent sur la rivière. Ils clapotent. Pour eux et ceux de leur club, l’énergie est quelque chose de diffus dont s’occupent des « collaborateurs » dont certains peuvent éventuellement avoir des connaissances sur le sujet ; collaborateurs dont la carrière dépendra de leur capacité à oublier leurs connaissances pour communier dans une pensée écologique coupée du réel. 

°°°°°°°°°°

 La musique suivante ne relève pas de l’idéologie mais d’un déni caractérisé, le déni de la mondialisation.

Le mot est sur toutes les lèvres, les commentateurs et les politiques y font de constantes références, nous baignons dedans, elle nous enveloppe.

Mais dans les comportements de chacun et dans les actions de l’État cette donnée cesse d’être un facteur pour ne plus être qu’un bruit de fond, un peu gênant, comme celui d’un insecte qu’on écarte d’un revers de main.

Mais facteur aggravant : La France ne « mesure » plus sa place dans le Monde et ne réalise pas qu’elle n’est plus un acteur de la Mondialisation mais seulement la spectatrice d’un drame dans lequel elle n’est qu’une figurante, au mieux un témoin, au pire une victime.

La démographie avance trop vite. Le « progrès » scientifique, technique et technologique avance, lui aussi, très vite mais cependant productivité par habitant décroit. Une partie croissante de la population mondiale devient inutile et précaire. Elle migre. 

La Nation d’Influence, héritière des errements de l’agonie des Royautés et autres Empires s’incruste dans une autarcie et un autisme satisfaits et complaisants.

Écoutons nos dirigeants : La France continue d’éclairer le monde et de définir le chemin du progrès de l’espèce humaine.

Pour un observateur (Naïf) qui mesure l’état de déliquescence sociétale, sociale, économique, culturelle et politique dans lequel se trouve le Cher et Vieux Pays la chose ne manque pas de piquant.

Le fait que les choses puissent être pires « ailleurs » ne peut constituer ni une consolation, ni un blanc-seing pour continuer à chanter faux.

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 Les affluents se sont rejoints, les bruits ont détruit l’harmonie, la Nation est emportée, ballotée sur le fleuve et il reste les hurlements de la Foule

Foule hargneuse, mécontente en quête d’un « Toujours Plus » que le groupe France, oublieux des réalités du monde ne peut plus lui offrir qu’au prix de la dette et d’une décroissance désormais assumée.

La Foule qui  s’exprime sans contrainte, en pillant, en meutes devenues sanguinaires, vociférant en l’absence de toute ligne de pensée constructive. 

Dans un odieux paradoxe, par une de ces cacophonies de l’esprit humain, les individus qui s’agglomèrent dans le Foule comme les microbes des tumeurs attendent tout de l’État qu’ils saccagent. Ils dépendent de la collectivité pour leur santé, pour une éducation qu’ils ne veulent plus recevoir, pour leurs emplois qu’ils ne veulent plus remplir ou simplement pour leur survie, certainement dans le cas d’une une fraction anormalement élevée d’entre eux, pour leur sécurité quotidienne assurée par des forces dont ils contestent avec violence l’action. Curieux nihilisme que ce refus de participer à la vie de tous autrement qu’en envisageant le retour au désordre et à une prévisible barbarie.

Mars 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le Naïf dans le Monde
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