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Le Naïf dans le Monde
9 mai 2017

Le poids du choix

Nous vivons une période éprouvante. Chacun sent que des changements vont intervenir. Nous seront-ils imposés par de grandes catastrophes : c’est notre spécialité. Pour ne parler que des deux siècles écoulés : 1789, 1815, 1830 1848, 1852/70, 1914, 1940 … triste litanie où se lit l’impossibilité française d’avancer dans l’histoire autrement que par le chaos et la guerre.

Les dernières scènes des élections présidentielles n’incitent pas à l’optimisme. Souhaitons qu’Emmanuel-Bouche-d’Or arrive, mi-chair mi-poisson à réaliser les fructueuses synthèses que son prédécesseur aurait pu entamer et les nécessaires réformes que nous promettait l’autre candidat. Les octogénaires-et-demi en doutent. Ils en ont vu d’autres et entendu d’autres.

En conclusion de ce pessimiste préambule, choisissons un sujet plus riant : Le prénom de l’enfant.

 

                                                                       °°°°°°°°°°°°°°°°°

 

Un ami m’expliquait récemment que le prénom Marius n’était pas utilisé dans la région marseillaise au 18ème siècle et durant la majeure partie du 19ème. Il est devenu « à la mode » lorsque des historiens locaux ont cherché des traces d’une célèbre bataille que conduisit Marius Caïus contre des peuples migrateurs, les Teutons (déjà) en 102 avant JC. Il les a éradiqués, totalement semble-t-il, ce qui conduit à penser que nos Teutons à nous ne sont ps les descendants des Teutons de Marius.

Va donc savoir ! Je cite l’ami-savant :

Je t’avais expliqué, hier, comment et pourquoi les historiens et archéologues +/- amateurs avaient recherché des traces de cette bataille 20 siècles après les faits.  C’est dans le même mouvement que s’inscrit la résurrection du prénom Marius à Marseille et ses environs au 19ème  siècle. Auparavant, aucune trace de ce prénom dans les archives paroissiales ou nationales. Sans Marius - le général Romain - l’Europe n’aurait peut-être pas existé telle que nous la connaissons et Pagnol aurait dû trouver un autre titre pour sa pièce.

André Tête 05 mai 2017

 

C’est curieux cette mode des prénoms : il faut y voir, c’est le vocable employé de nos jours, un véritable « phénomène de société », un marqueur sociologique et j’ose le dire un identifiant culturel.

Reprenons les choses au commencement. La jeune épouse émue mais inquiète, partagée entre allégresse et poids de la nouvelle responsabilité, annonce au futur papa la grande probabilité d’un heureux évènement. L’allégresse se communique et s’ouvre alors une période particulière de leur vie de couple, une pièce de théâtre dont ils ne savent pas encore qu’elle ne connaitra pas de baisser de rideau, mais ceci est une autre histoire.

Dans cette pièce –comédie, souhaitons-le - les rôles principaux sont tenus par :

Les futurs Grands-parents, le corps médical (au centre l’Écographe), Mme Pernoud (un peu dépassée), la Sécusoc (la scène se passe en France) et bien d’autre encore.

Une des scènes de cette pièce dans laquelle le talent du couple se révèle en plein lumière est la scène du choix du prénom.

 

Suivant les indications de l’Écographe, suivant que la scène soit jouée en début de spectacle ou plus tard dans l’intrigue une incertitude restera ou sera levée : Fille ou Garçon. Comme on dit en Mathélem, supposons le problème résolu. On connait le sexe.

J’ai vécu ce micro drame domestique : je sais ce qui est impliqué.

Je sais aussi qu’in fine, Madame décide ; toute les fois que ce n’est pas Belle-maman.

 

Je propose donc ici un classement des grandes tendances et facteurs qui orientent puis régissent ce choix.

 

La tradition : elle prend plusieurs formes.

 

De classe sociale, de bon ton : Louis, Marguerite, Édouard (déjà un peu stylé), Gaëtan (déjà un peu snobiné)… On est dans le domaine du sans erreur avec un conservatisme de bon goût et revendiqué. La classe de la Classe avec particule si possible.

Régional assumé : quel meilleur exemple que Mireille, ou plus audacieux, justement notre Marius. Je jette un voile sur la Zohra de Mme Dati tout en partageant les opinions (très) critiques sur le sujet, sans aller jusqu’au rigorisme de Zemmour.

Français pur-jus : le passe partout, incolore, inodore, le sans-faute garanti. C’est la troupe des Jean, Michel, Jacques…avec cependant des marges soumises à la mode, André (rare de nos jours), Antoine, Robert ou Roger (pas encore disparus mais presque) et plus loin encore Victor ou Jules…Claude, c’était les années 1930/40 et c’est tout : le robinet s’est refermé.

Familiale : obligado, pas nécessairement en premier, mais jamais oublié, le prénom d’un ancien du clan, père, grand-mère, rarement au-delà sauf bien sûr à retomber sur les Louis.

 

Le besoin de transgression : « nous ne sommes pas tout le monde et notre enfant ne sera pas n’importe qui ».

Inutile d’insister sur la charge que ces parents imposent à leur rejeton qui aura ou n’aura pas la personnalité de « porter » le prénom exotique. Tel individu en fera une bannière victorieuse, tel autre sera l’objet de moqueries constantes généralement de mauvais goût et maudira ses parents puis finira par se faire appeler autrement. Ce besoin d’échapper à la tradition, de rechercher une certaine originalité a des degrés et tout n’est pas détestable dans cette démarche. Je cherche de mémoire des cas, des exemples : Fleur, comme la Pellerin, c’est plutôt sympa et je n’ai pas le sentiment d’avoir fait une bêtise quand le prénom de Violaine* a été choisi pour ma fille ainée.

Et puis, il peut se glisser un peu de poésie dans ces choix-là, poésie que le milieu dans lequel évolue l’enfant appréciera.

Ainsi Océane ou Othello (chez moi, Othello, c’était un chat) et bien d’autres.  

Europe, Atlantique, toute une géographie.

Dans la transgression quasi-classique citons la vague italo-sud-américaine : Roméo (autre chat), Orlando (seigneur des anneaux) et quelques Benitios, sans omettre l’inévitable  Léonardo.

 

                                                                          *Violaine 

Les années 1950 : En ce temps-là, on lisait Gide et Paul Claudel (le Claudel connu était le frère, non la sœur) et Sartre triomphait. C’est dire si ça date. Un sédiment vague de cette époque m’a amené en 1976, à la naissance de la petite Violaine à proposer à Geneviève ce prénom tout droit venu de l’univers claudélien, petit mélange inoffensif de culture mal-digérée et de snobisme littéraire et passéiste. Le prénom sonne bien et ainsi il fut adopté. L’État Civil n’y trouva rien à redire.

Je pensais sur le moment faire preuve d’une grande originalité, car jamais, au grand jamais je n’avais entendu le prénom, sauf sur la scène du Français. Je croyais d’ailleurs que le nom n’était utilisé, hors Claudel que pour désigner un village du nord du pays, avec un S terminal, il est vrai.

Grande était mon erreur : totalement à mon insu et par un phénomène que je n’explique pas,  ce choix original n’était en réalité qu’une participation à une mode ample et au demeurant vite retombée. Une imprégnation socio-psychique ? Curieux, non ? 

J'avais l'intention d'insérer un graphique montrant l'évolution de l'emploi du prénom Violaine; je n'y suis pas parvenu: pas assez intelligent pour délabyrinther Canalblog qui gagne pour l'instant par KO technique. Donc un résumé: avant 1950....zéro; 1975, quand je croyais être original.....200; 1981, la pointe.....350 et 2012, fin du reflux....zéro. Curieux, non?

 Violaine

Après cela, dans nos catégories on tombe dans le transgressif de mauvais goût, ou de très mauvais goût. Cependant le phénomène est épidémique et tellement répandu que la transgression devient la règle et ringard celui qui n’innove pas dans l’infiniment vaste domaine de la vulgarité, hélas populaire. La vague des Kevin, Brandon, Brad …est trop connue pour que j’insiste.

En cause la Loi. Je cite **:

Mais c’est depuis 1993, avec l’Article 57 du Code civil, (Titre II, chapitre), que la loi a le plus considérablement assoupli sa législation, garantissant virtuellement l’acceptabilité de n’importe quel prénom.

Article 57:

“L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. [...] Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel. Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.

Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur patronyme, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant.”

Alors, voici le résultat **:

 

Dignes de la mafia     Alkapone et Alpacino (des prénoms masculins, peut-être pour des frères, repérés dans une classe en 2015 à Mulhouse).

Touche de swing    Les parents de Djustyne (une petite fille) sont visiblement fans de Justin Bieber, ceux de Djoulyann ne jurent que par Julian Perretta et ceux de Shonn passent certainement Shawn Mendes en boucle.

Non-hommage à l’orthographe    L’orthographe du prénom choisi pour bébé peut vraiment laisser à désirer, à l’instar de Kill-Yann , Zac-Harry (le prénom hébreu Zacharie signifie « Dieu se souvient »), Enthonyn (attribué en 2014) ou Jean-Clode.

Allusions impossible    Merdive (attribué à une petite fille en 2014), Euthanasia (attribué en 2012 à une fillette dont la sœur aînée s’appelle Amnesia et le petit frère Judas), Clitorine ou encore Huterin.

Trop de séries américaines      Dinonzo (Tony DiNozzo, de la série « NCIS »), Wenthwors (l’acteur Wentworth Miller de « Prison Break »), Jahrod (« Le caméléon » de M6) ou encore Katniss (Katniss Everdeen dans la trilogie « Hunger Games »)

Fusions malheureuses    Lorsque papa et maman n’arrivent pas à choisir entre deux prénoms, ils les fusionnent, donnant naissance aux petits Benjapaul , Gabryélène , Charlolivier ou encore Jenifaël.

De pures inventions     Les idées ne sont pas toujours bonnes : Crissolorio , Laekkube (petite fille née en 2015, parents fans de géométrie ?), Dayvertson ou Cheltowe.

Les inclassables     Si quelqu’un comprend… Link, Black Brown , Dior-Gnagna , Jésunette , Lola-Poupoune , Jean-d’Amour , Jetaime , Taufoou, Boghosse , Petite-Neige , Kissmy , Aziäline, Lagrâce-Divine , Léon-Mignon …

Dauphiné libéré  9 mai 1917

 

Quelle horreur. Et ça vote.

Les lamentations à venir méritent un autre coin de feuille, d’autant que j’avais choisi ce sujet comme un propos souriant loin des inquiétudes actuelles et V'la-tipas que j’y ai été ramené, comme si la bêtise recouvrait toute chose.

 

**Autre sujet d’étonnement : avoir ce type d’information ou de statistique au bout de la langue, d’un clic gourmand.

 

09 mai 2017   Un Merci à l’Ami André à l’origine de ce sourire grinçant.

 

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