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Le Naïf dans le Monde
31 mai 2017

L’Afrique décolle en zodiac

 

 

Anne Cheyvialle, journaliste au Figaro (mon journal de référence) se pose une question et comme dit EM, en même temps, nous la pose aussi :

 

Le décollage économique de l’Afrique est-il une réalité ?

 

L’article est très bien construit. Il est un peu long, format quatre colonnes ; c’est la raison pour laquelle il ne sera pas joint à cette note*. Peut-être aussi parce qu’il me laisse sur ma soif. Non pas qu’il ne soit documenté, argumenté et les facteurs du problème correctement exposés.

En filigrane, tout est dit mais rien n’est conclu.

 

J’ai vécu une quinzaine d’années de ma vie en Afrique. Cela ne fait pas de moi un spécialiste mais cela m’autorise à apporter un point de vue « localisé » sur certains aspects de cette discussion.

 

Un autre tableau

 

Le Colonialisme, besoin et avidité : espace pour recaser des populations déplacées, ressources naturelles à exploiter, militaires à occuper, image de grandeurs impériales…un soupçon d’aventure.

Bons sentiments et morale chrétienne : évangéliser, curer gens et âmes, schweitzeriser, scolariser et injecter tout à la fois de la pénicilline et des principes démocratiques…

Et puis baiser les négresses, ça ne porte pas à conséquence.

Curieuse association et mélange détonnant sur fond de querelles internationales avec comme résultat ce que nous décrit notre diligente journaliste : 54 pays.  Elle utilise l’expression de mosaïque pour parler du continent, ce qui supposerait que chaque fragment soit bien défini et cerclé de plomb comme dans le vitrail de chez nous. Restons-en au mot « Pays ». On ne peut pas parler de Nation et si par largeur de vue on utilisait le vocable une nouvelle barrière apparaitrait : Nation et État ou bien Nation sans État ?

 

La vérité est tout autre : l’Afrique est peuplée de milliers de clans, de tribus, d’ethnies de toute taille, de toute langue, de toute croyance, de toute culture. Elles n’ont qu’un point commun : elles n’ont en rien participées à l’élaboration de NOTRE culture qui est la culture que NOUS leur avons proposée et imposée. Elles ont au gré des rigueurs africaines, élaboré des cultures nécessairement locales et fragmentées (formant un indistinct tableau impressionniste) que le colonialisme et l’impérialisme ont mis à mal et souvent totalement éradiquées sans savoir ou vouloir ou pouvoir les remplacer.

Le continent est au sens de nos modèles sociaux et économiques acculturé. Au sens des anciens modèles africains il est déculturé.

Du passé, faisons table rase. Mission accomplie. L’homme blanc a (quel est le mot à la mode ?) « disrupté » les mondes africains et laissé derrière lui un désert culturel. C’est, qu’en plus, obligé le plus souvent, il est reparti le bougre après avoir coupé l’arbre et extrait le minerai.

 

 

 

 

Les ressources naturelles.

Elles sont toujours là, poussant sur les mille collines, enfouies sous les sables du désert ou dans les gigantesques puits de Kimberlite. Le problème est qu’il n’y en a pas partout !

Aucune ressource : que faire. La réponse est, Hélas, évidente : rien.

Mais si, on peut explorer et chercher : notre bonne Anne appellerait cette démarche de l’investissement pour le développement de l’Afrique alors qu’il ne s’agit que d’investissement dans l’uranium, le cuivre et surtout dans le…pétrole.

Il y a des ressources : les exploiter en faisant le meilleur « deal » possible avec le pouvoir en place, c’est à dire la faction militaro-ethnique qui l’incarne. Si le deal est favorable au pouvoir local, le pays connait d’entrée de jeu la fameuse « malédiction du pétrole ». Si le deal est favorable au néo colonisateur et exploiteur, il en profite pour faire un peu ce commerce, en douce pour compenser la quote-part de redistribution qu’il a dû consentir : bagnoles et…les fameux téléphones portables. Un oubli : quelques kalachnikovs, ça ne mange pas de pain.

 

Main d’œuvre : Un milliard, bientôt un milliard et demi. Yabon. Au travail. Bien sûr, pas très qualifiée, mais pour le café, le cacao, la canne à sucre et la mine de diamant on n’est pas obligé de sortir de Saint Cyr.

 

Un milliard : Un milliard de consommateurs. Yabon pour la Bière. Est-ce un hasard si Anne nous signale l’intérêt de Heineken pour le continent ? Du système économique que NOUS leur proposons et imposons, ce que les africains retiennent le plus aisément est la consommation.

La chose est naturelle : nous avons beaucoup et consommons beaucoup ; Ils n’ont rien et ne consomment pas grand-chose. Comment ne suivraient-ils pas l’exemple de notre abondance, laquelle est, comme chacun sait, une conséquence immédiate et naturelle de la …Démocratie.

Et de la dette dans le cas bien identifié de la France.

 

Je repense aux chroniques du regretté Jean Christophe Victor, qui disait fréquemment :

Alors que faut –il retenir de …

Ici je dirai :

Alors qu’est-ce qui manque dans le papier de sœur Anne.

 

C’est simple : le voile de la bienpensance a été étendu sur tout l’article ; comme il s’agit d’un voile immense, il a même recouvert l’ensemble du continent. Il cache la vérité, la vérité des Ethnies.

Il n’est pas question, fut-ce par allusion discrète, subliminale d’évoquer les moindres particularités ethniques des peuples du fameux tableau impressionniste. Dans le même panier les Kabyles, les Zulus, le Masaïs, les Peuls et, car ils sont inoubliables, les Arabes. Dans le même sac les Dinkas, les Somalis, les Luos, les Nubas (s’il en reste). Tout pareil les Haoussas de Boko Haram et les coptes égyptiens. Identiques dans le grand moule de l’identité heureuse chère à notre cœur les Berbères du Rif et le sympathique coureur bochiman qui reçoit des bouteilles de Coca-Cola sur la tête. Inutile une distinction entre un Kenya alimenté au tournant du siècle dernier par une massive injection de Gujaratis et une Algérie colonisée à la mode de chez nous avec les résultats que l’on sait…

Tout pareil, tout le monde semblable et n’essayons pas d’insinuer que le développement (heureux ou pas, qu’on aime ou pas)  que NOUS connaissons résulte du travail et de l’invention des méchants germains, des égoïstes insulaires grand-bretons, des français râleurs et du génie des italiens ; le tout commercialisé par des profiteurs bataves et flamands.

Non, l’homme seul ou en groupe est le même partout et en tout. Mettez-vous ça dans la tête et cessez de voir des différences là où il n’y en a pas. Ne nous sortez pas constamment l’histoire de Singapour qui nous dit qu’une poignée de coolies chinois peuvent transformer une île minuscule grande comme le bois de Boulogne en une des citadelles économiques et financières du monde avec zéro ressource naturelle et seulement du travail et de l’ingénuité (anglicisme pur-jus, pour rire, mais avec arrière-pensée) ; et de grâce pas de Corée du Sud qui passe en 60 ans du rang de pays le plus pauvre de la planète à une place comparable à celle de la Russie ; aucun de ces exemples qui nous feraient croire que les peuples d’Asie ne sont pas semblables aux peuples d’Afrique. Comme si de telles différences pouvaient exister !

 

Cela s’appelle le déni.

 

Le déni des différences : cet idéologique passage de l’égalité des droits à l’égalité des capacités par la délicate passerelle de l’égalité des chances.

Le déni des réalités ethniques, culturelles, linguistiques (on met la religion dans la culture) qui fait confondre les réalités politiques et économiques avec les espérances de la morale chrétienne.

Les africains ont droit à… donc ils méritent que…

 

Mais notre cœur saigne quand ça l’arrange ; il saigne plus pour les pauvres populations du sahel quand du pétrole a été découvert dans les sables du désert. Il ne saigne que très peu quand un despote sanguinaire, un Mugabe par exemple transforme en une quarantaine d’années le pays le plus fertile d’Afrique de l’Est en un pays pauvre, raciste et opprimé. Peut-être Borloo ira-t-il lui offrir des panneaux solaires chinois ?

Je saute le chapitre Congo, je n’évoque qu’en passant l’histoire du Soudan anciennement anglo-égyptien, ou bien la Somalie où, comme on dit tout baigne (dans le sang) ou encore l’Afrique du Sud, une des briques les plus prometteuses du développement du continent, pays de la paix social.

Voile discret sur l’Érythrée, le Mali qui nous occupe, le Niger qui irradie de tout son Arevisme à bonne Mine, le Tchad depuis quelque temps privé de coup d’état mais bénéficiaire d’une belle goutte de pétrole et toujours à la recherche de son lac évaporé.

Le pompon, la Lybie dont la vocation est maintenant bien établie : elle est devenue le pays des plages. Ce ne sont pas des plages à touristes mais des plages d’embarquement pour Lampedusa, moderne Cythère. Pour la Lybie, on ne peut évidemment pas parler de décollage, puisque tout ce trafic (d’êtres humains) se fait par voie maritime et sur embarcation de fortune.

 

Alors quoi, pourquoi ce pessimisme : les capitaux affluent nous dit-on. Tout le monde finance et la prospérité va jaillir de cette source d’abondance. La liste des généreux financiers est longue et je suis convaincu qu’ils ont pris soin de veiller à leurs intérêts ainsi qu’à ceux de leurs partenaires locaux dans le choix de leurs investissements. On peut souhaiter que ces apports aient un impact positif sur le développement des pays concernés. Mais on n’est pas obligé de le croire.

 

Anne nous explique que des circuits financiers se mettent en place dans un cadre local…C’est bien dans la mesure où un État stable et soucieux du développement social de la population garantit en ces matières le Droit de propriété et d’une façon plus général le Droit tout court. On entre ici dans le délicat domaine de la matérialisation de la propriété et en premier lieu de la propriété foncière. Il existe une inévitable relation entre crédit et garantie du crédit, garantie qui, à l’origine des circuits économiques ne peut guère reposer que sur la propriété du sol. On a assez évoqué le problème du cadastre chez les amis grecs pour illustrer le point en question. On laissera aux experts le soin de nous dire combien de « Pays » africains et lesquels remplissent ces conditions de naissance d’un système financier suffisamment actif pour assurer ce « décollage économique » sur la réalité duquel on s’interroge.

On peut alors évoquer le microcrédit des ONG, les prêts usuriers des commerçants libanais, grecs ou indiens et ce que les potentats locaux n’ont pas réussi à détourner de l’aide internationale, les mailles de leurs filets n’étant pas assez serrées.

Ces pays ne peuvent être que des pays ayant connu une administration coloniale structurante et laissant peu de place aux anciennes féodalités : est-ce le cas ailleurs que dans les anciennes colonies d’AEF et d’AOF et mais à quoi bon en parler, de l’Algérie ?

 

Une chose est certaine : la démographie africaine galope. Sa foulée est soutenue, elle a du rythme et elle est en passe de gagner cette folle course au nombre que l’humanité à entamée il y a déjà pas mal de temps.

Elle avait de l’avance puisque, dit-on, elle était partie la première dans cette course ; mais après Lucy et Toumaï elle avait marqué le pas et Erectus et confrères avaient déjà commencé à migrer. Pourquoi donc ?

Intervient à ce stade un choix bien connu, le choix de la vision du verre. Le verre est-il à moitié plein ou est-il à moitié vide.

Formulé sur notre argument (le fameux décollage) on peut dire :

La croissance économique entraine la croissance démographique et le développement et le progrès social et la naissance d’institutions démocratiques et la paix sur la terre comme aux cieux. Amen.

Ou bien :

La croissance démographique qui résulte d’une médicalisation accrue et d’injections massives d’aide alimentaire attire le néocolonialiste qui pactise avec le roi nègre pour –Yabon- encore quelques diamants et barils de pétrole que le natif extraira, dopé à la pénicilline du Médecin sans frontières qui entretient la croissance démographique. CQFD.

 

La vérité, indiscernable, est entre ces deux pôles : il y a frémissement économique dans des pays qui ont connu la structuration coloniale, qui ne dépendent pas que de leurs ressources naturelles et qui ont la chance –car en Afrique, la chose est rare- d’être dirigés par des personnes qui ne soient pas des fous sanguinaires. Le problème est que, en Afrique comme ailleurs l’accession au pouvoir nécessite souvent d’être un fou sanguinaire.

Je me félicite que la Côte d’Ivoire aille mieux, mais qui l’aurait garanti, il y a seulement six ans ?

Je suis ravi qu’on puisse se rendre au Sénégal ou à Nairobi et à Dar Es Salam. Pourvu que ça dure.

Et dans la famille chacun va passer les vacances au Maroc chez la grand-mère…

Mais qui empêchera les jeunes gens de ces pays formés en Europe de venir y mener leur vie, par un familier changement de couleur culturel.

Mais presque partout ailleurs, c’est la guerre ou la promesse de la guerre. Et des millions de réfugiés, de déplacés, de génocidés qui ne décollent pas et qui vivent dans de gigantesques mouroirs.

 

Je ne parle pas de l’avancée de l’islam. Le phénomène ne date pas d’hier et rien n’indique qu’il connaisse un ralentissement. Les français sont bien placés pour analyser le processus.

 

Cela s’appelle le déni.

 

Alors que faut-il retenir ? Je regarde l’Homme africain et je vois :

 

Un Homme, nu et issu comme moi de l’humus originel. Il a droit au respect et à l’amour que je dois porter aux hommes et au monde qui nous fait vivre, dont il est, comme moi la plus belle incarnation. Enfin, nous avons été élevés (construits) pour le penser et peut-être le croire. Mais je regarde au-delà de la main que j’ai posé sur son épaule et je vois que, cet Homme, mon frère, n’existe que par son groupe, dans son groupe et pour son groupe : il ne voyage pas seul, il emporte avec lui sous la semelle de ses pieds nus la terre d’Afrique, les foules de l’Afrique et l’âpreté du continent.

 

Alors je le regarde d’un œil plus attentif  et je vois :

 

Un paysan, toujours esclave des « rigueurs du continent » et des traditions tribales.

Un ouvrier, toujours esclave dans la plantation ou dans la mine, dont l’exploitation (de l’ouvrier, de la plantation et de la mine) profitera exclusivement au financier extérieur et au potentat local.

Un buveur de bière, toujours esclave –comme vous et moi- d’addictions primordiales et au gré de ses maigres ressources, consommateur potentiel de bagnoles et de smartphones.

Un baiseur consciencieux –comme vous et moi- qui se reproduit plus vite que son ombre.

Le SIDA  et la contraception sont des formes nouvelles de l’emprise néocoloniale.

Un musulman potentiel.

Un migrant certain.

 

La seule certitude que nous puissions avoir sur le décollage de l’Afrique est qu’il s’opère au rythme de quelques milliers d’hommes, de femmes et d’enfants chaque jours, depuis les rives de la Méditerranée jusqu’à la Terre Promise.

 

Eux comme nous n’y pouvons rien.

 

15 mai 2017

 

                                                              °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 

*En conclusion, bien qu’ayant annoncé le contraire, pour le lecteur qui aura subi le persiflage précédent, j’ajoute tout de même l’excellent article d’Anne. C’est pour les nuances.

Par Anne Cheyvialle   15 mai 2017

Le décollage de l'Afrique, mythe ou réalité? Cette question renvoie dos à dos afro-optimistes et afro-pessimistes. Les uns vantent les atouts d'une population en croissance exponentielle, jeune et urbaine, l'émergence d'une classe moyenne, plus éduquée, qui consomme et entreprend, la soif d'innovation, l'afflux de capitaux étrangers. Les autres s'inquiètent des freins persistants: pauvreté et inégalités, menaces terroristes et conflits ethniques, régimes corrompus et autoritaires, infrastructures défaillantes et manque de services de base… La réponse ne peut être «une» dans cette Afrique mosaïque composée de 54 pays. Entre l'Ouest africain tiré par la locomotive ivoirienne, bien qu'encore fragile (comme en témoignent ces jours-ci les mutineries de soldats), l'Est soutenu par un Kenya friand de nouvelles technologies, une Éthiopie plus intégrée aux chaînes de valeur mondiales et un commerce régional plus dynamique qu'ailleurs, la zone enclavée du Sahel, véritable poudrière, victime de sécheresse, de guerres civiles et du risque djihadiste ou encore l'Afrique australe portée par l'économie sud-africaine, la plus avancée mais engluée dans une crise politique et sociale, le continent est terre de contrastes. Il faut aussi distinguer les producteurs pétroliers et miniers, durement touchés par la chute des prix mondiaux depuis 2014, des économies plus diversifiées telles que la Côte d'Ivoire, le Sénégal, l'Ouganda ou le Rwanda.

Mais que l'on regarde le verre à moitié plein ou à moitié vide, une lame de fond se propage depuis une quinzaine d'années. «La décennie 2000 a marqué un véritable tournant, souligne Pierre Jacquemot, enseignant à Sciences Po et chercheur à l'Iris, l'Institut de relations internationales et stratégiques. «Le continent a connu une croissance de 5-6 % en moyenne, supérieure à la croissance démographique, certes tirée par le boom des matières premières, mais cela a amélioré le revenu par tête», explique l'auteur de L'Afrique des possibles, les défis de l'émergence. En dépit des difficultés, son attrait ne se dément pas. En témoignent ces conférences toujours plus nombreuses sur son potentiel et les avions remplis d'hommes d'affaires qui sillonnent le continent.

Moteur démographique

Chaque conférence égrène les données impressionnantes: la population africaine, de 1,2 milliard, devrait doubler d'ici à 2050. Le continent concentrera un quart de la population mondiale avec trois pays - Nigeria, République démocratique du Congo et Éthiopie - dans le «top ten». Autre force, sa population active continuera de croître rapidement alors qu'elle déclinera en Chine et en Europe.

C'est compter sans l'urbanisation galopante, la poussée des grandes mégalopoles comme Lagos - dont la population augmente d'une personne chaque minute -, Kinshasa, Khartoum, Nairobi… Suscitant autant d'opportunités que de défis car il faut loger, nourrir, éduquer, transporter ces millions d'urbains. Autres progrès sociaux: le recul de l'extrême pauvreté (de 57 % en 1990 à 43 % en 2012) et l'émergence des classes moyennes, qui varie, selon la définition des revenus (de 3 à 30 dollars par jour), entre 143 et 370 millions d'Africains. D'ici à 2040, elles devraient compter 900 millions de personnes, selon les calculs de la société de conseil Bearing Point. Dans leur ouvrage Entreprenante Afrique, Jean-Michel Severino et Jérémy Hajdenberg estiment qu'en 2050 le PIB du continent pourrait avoisiner celui de l'UE (autour de 20 000 milliards de dollars).

Force des économies diversifiées

Ces chiffres se matérialisent sur le terrain. La renaissance de la Côte d'Ivoire après plusieurs années de guerre civile en est une illustration: le pays a enregistré plus de 8 % de croissance moyenne depuis 2012. Débarqué à Abidjan, le visiteur découvre une ville en pleine ébullition: les nombreux chantiers, les immeubles qui se dressent dans le quartier d'affaires, la déferlante publicitaire, les embouteillages… L'eldorado attire nombre d'investisseurs et marques étrangères - L'Oréal, Nestlé, Unilever, Danone… tous les grands noms de la consommation et la distribution. Heineken, associé à CFAO, installé de longue date en Afrique, a récemment inauguré une brasserie. La même CFAO, mariée cette fois à Carrefour, va ouvrir dans un mois son deuxième Playce dans la capitale. Les deux groupes visent une centaine de centres commerciaux de ce type d'ici à dix ans dans huit pays de la sous-région.

Le trou d'air provoqué par le cycle baissier des cours mondiaux a montré la force de ces économies plus diversifiées, à l'inverse des pays dépendants du pétrole comme le Gabon, l'Angola, la République démocratique du Congo ou le Nigeria, qui subissent la malédiction des matières premières. «Il y a un effet d'entraînement vers des économies plus diversifiées. Ces pays n'ont plus le choix car ils ont une base taxable trop restreinte», explique Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l'Afrique. Ils doivent investir dans l'agriculture et l'agrobusiness pour faire face à la pression démographique et être moins dépendants des importations. Makhtar Diop cite l'exemple de la Côte d'Ivoire, qui s'est fixé comme objectif de transformer 50 % du cacao localement, ou le Gabon, qui veut valoriser sa filière bois. «Cela permet d'équilibrer les balances des paiements et de réduire les pressions inflationnistes. L'offre plus abondante aura aussi pour effet de réduire les coûts de transformation de base», insiste le vice-président. Plusieurs pays ont lancé des plans de développement à moyen terme: «Vision 2030» au Kenya et en Zambie, «Transformation agenda» au Nigeria, «Development Vision 2025» en Tanzanie, «Croissance et transformation» en Éthiopie… Ces ambitions de diversification et d'industrialisation, même si elles avancent en ordre dispersé, sont un signal de décollage. Les secteurs des services et de l'industrie ont représenté près de 70 % de la croissance africaine entre 2010 et 2014, la plus grosse part revenant aux services. L'explosion du «mobile banking» est à ce titre emblématique. L'Afrique a accompli un saut technologique qui en fait une référence mondiale. «Le continent comptera, fin 2017, 850 millions d'abonnés à la téléphonie mobile et 350 millions de smartphones», note Jean-Michel Huet, associé de BearingPoint, auteur de Le Digital en Afrique. Les cinq sauts numériques. Pierre Jacquemot enfonce le clou: «L'Afrique est le continent par excellence de l'innovation numérique et écologique.»

 

Afflux d'investissements

Les investisseurs ne s'y trompent pas. La nouveauté, c'est qu'ils sont de plus en plus africains. Les investissements directs étrangers (IDE) interrégionaux ont beaucoup progressé, soutenus par le secteur privé. Le Maroc est devenu l'un des premiers acteurs en Afrique subsaharienne, sous la forte impulsion du roi Mohammed  VI, très proactif sur le continent. Le traditionnel axe Nord-Sud subit la concurrence d'une coopération Sud-Sud. Les Européens se font damer le pion par les pays émergents: les Turcs, à l'image de la compagnie aérienne Turkish Airlines qui a déjà ouvert 51 lignes sur le continent, les Indiens, très présents sur la façade Est, ou les Singapouriens, à l'exemple d'Olam, groupe d'agrobusiness qui investit dans plusieurs filières. Il vient de lancer sa deuxième usine d'huile de palme au Gabon. L'appétit des entreprises chinoises, très présentes dans les projets d'infrastructures, quant à lui, ne faiblit pas. Multipliés par six ces dernières années, les investissements directs chinois devraient encore accélérer avec le grand projet d'expansion du président Xi Jinping baptisé «les nouvelles routes de la soie».

Autre évolution clé, le développement de l'Afrique passe de plus en plus par du capital privé et n'est plus l'apanage des grands bailleurs publics. «Le secteur privé, les grandes entreprises (Total, Bolloré, Orange…), mais aussi les PME, voire des ETI, s'intéressent au continent», souligne Jean-Michel Huet. L'engouement du private equity - plus de 200 sociétés sont actives - témoigne de la vitalité du continent. Des champions panafricains émergent dans la banque (Attijariwafa, Ecobank, Oragroup…), l'assurance (Saham, NSIA…) ou les télécoms (MTN, Telkom, IHS). Au-delà du potentiel des marchés, experts et investisseurs mettent en avant un cadre global plus favorable: des fondamentaux macroéconomiques plus solides - ce qu'a montré la résilience du continent à la crise de 2008 et même au retournement des matières premières - et des avancées politiques, toutes proportions gardées. «La démocratie a beaucoup progressé, les élections se sont bien passées dans de nombreux pays (Sénégal, Bénin, Ghana). En intervenant rapidement en Gambie, la Cédéao (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) a montré sa capacité à juguler les crises», témoigne Vincent Le Guennou, cofondateur d'ECP, un fonds d'investissement pionnier sur le continent. La société civile fait aussi de plus en plus entendre sa voix via les réseaux sociaux et les mouvements associatifs, contre les gabegies et la corruption.

Freins récurrents

Cette société civile ne revendique pas seulement des élections libres et une vraie alternance politique. Elle réclame une meilleure répartition des richesses, veut plus d'écoles et de bonne qualité, des hôpitaux qui fonctionnent, et pour commencer un accès aux services de base, eau, assainissement, électricité. Deux Africains sur trois n'ont toujours pas accès à l'électricité. Les coupures sont monnaie courante, nombre d'enfants font leurs devoirs le soir à la bougie. Ils doivent parcourir des kilomètres à pied sur des pistes cabossées pour se rendre à l'école. Le manque de routes et d'infrastructures de transport est un frein à l'intégration régionale. Des obstacles que les afro-optimistes regardent comme autant d'opportunités de développement.

 

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